Christophe André : La vie intérieure et le bonheur

le 12/06/2018 à 15h16 par  - Lecture en 6 min Ajouter à votre selection
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Le Dr. Christophe André, psychiatre et spécialiste de la méditation, nous encourage dans son dernier livre, « La vie intérieure » aux éditions de l’Iconoclaste, à cultiver notre intériorité. Les clés selon lui d’une existence plus sereine, plus équilibrée et plus intelligente, particulièrement au moment de la transition du milieu de vie. Entretien.

Qu’est-ce donc que la vie intérieure ?

Christophe André : Cette expression désigne tout ce qui est vivant à l’intérieur de nous, tout ce que nous pouvons percevoir lorsque nous nous arrêtons quelques instants pour regarder en dedans de nous. Nos sensations corporelles, nos ressentis émotionnels, nos pensées, nos impulsions, nos envies, nos inquiétudes, nos peurs. On pourrait qualifier la vie intérieure de flot ininterrompu, de rumeur perpétuelle.

Qu’allons-nous gagner à nous y intéresser ?

Christophe André : Côtoyer sa vie intérieure et faire régulièrement des petits détours par elle peut sans nul doute permettre de vivre plus agréablement et plus intelligemment. A moins d’être un sacré chanceux et d’avoir les bons chromosomes, d’avoir eu le bon passé et l’éducation parfaite, il me semble impossible de parvenir au bien-être sans un minimum de compréhension de sa vie intérieure. On ne peut prétendre aller bien en se désintéressant de soi! Ecouter ce qui se passe en nous, aller à la chasse aux sensations, pensées, images et souvenirs qu’une situation extérieure déclenche en nous, essayer de comprendre pourquoi elle nous met mal à l’aise, pourquoi nous avons du mal à y faire face: tout cela nous aide à affûter notre discernement, à être plus intelligents et réfléchis dans nos choix et décisions. Souvent aussi à prendre conscience des influences extérieures et à s’en libérer si elles ne nous font pas de bien.

Mais ne risque-t-on pas le nombrilisme à trop se centrer sur notre vie intérieure ?

Christophe André : Notre vie intérieure n’est pas forcément ce qu’il y a de plus intéressant au monde, les autres et l’extérieur le sont aussi. Il ne s’agit pas de faire un séjour permanent en soi, simplement des petites incursions pour mieux retourner ensuite vers les autres, être mieux en relation avec eux. Quand on est parent d’adolescents par exemple, s’appuyer sur sa vie intérieure n’est pas du luxe! Cela ne peut qu’améliorer nos capacités d’écoute: le parent qui a l’habitude de fréquenter sa vie intérieure réussira beaucoup plus facilement à être dans le juste milieu lors d’un échange un peu houleux. Il saura être présent à son ado et ses arguments, tout en étant présent à soi et attentif à ce que les mots de son enfant font naître en lui-même. Un équilibre idéal pour apporter à son jeune une réponse juste, susceptible de désamorcer le conflit. Et ne pas tomber dans le piège d’une réaction épidermique.

La cinquantaine est un âge complexe, aussi bien pour les hommes que pour les femmes. On parle d’ailleurs souvent de la « crise du milieu de vie ». Se retourner vers sa vie intérieure peut-il aider dans ce moment charnière ?

Christophe André : C’est certain! Quand nous franchissons ce cap du milieu de la vie, inévitablement, nous prenons conscience des pertes qui ont déjà eu lieu ou s’annoncent. Les rides, le corps qui change, les capacités physiques qui ne sont plus tout à fait les mêmes. Sans compter les parents qui vieillissent, les enfants qui prennent de plus en plus d’autonomie (c’est une bonne chose mais parfois un peu douloureuse), la vie professionnelle qui nous met en «concurrence» avec des plus jeunes. Miser alors sur notre intériorité va nous aider à ne pas nous confire dans les regrets et les peurs, mais à percevoir aussi les gains de cet âge de la vie. En nous retournant vers nous-mêmes, nous ne pourrons que constater qu’avoir vécu 50 ans nous rend incontestablement plus expérimentés qu’à 20! Cela nous a permis d’engranger un stock de souvenirs conséquent, nous a donné une meilleure connaissance de nous-mêmes et de ce qui nous rend heureux, nous a octroyé plus de sagesse. En mettant notre vie intérieure à l’honneur dans cette phase de transition, nous nous donnons toutes les chances de mieux cerner qui nous avons été jusque-là et qui nous avons envie de devenir dans le futur. Et puis nous serons davantage armés pour résister aux injonctions au jeunisme tellement fortes dans notre société: nourris par notre vie intérieure, nous aurons moins de risque de céder à cette chimère affirmant que l’on peut rester jeune, envers et contre tout! Finalement, la vie intérieure permet de prendre de l’âge de façon intelligente et plutôt réjouissante.

Notre vie intérieure comporte aussi une face sombre, des angoisses, des idées noires. Comment ne pas nous laisser aspirer par elles ?

Christophe André : Cultiver notre intériorité ne doit pas nous conduire à une démarche hygiéniste, à vouloir absolument éradiquer les «mauvaises herbes», supprimer les pensées tristes et nostalgiques. L’idée est plutôt d’accepter de les héberger sans crainte, de prendre le temps de les observer et de trouver le meilleur usage à en faire. Cette angoisse de vieillir, par exemple, qui parfois me déborde, et si je me penchais sur elle? Que fait-elle naître en moi, que provoque-t-elle comme émotions, en quoi me bloque-t-elle, vers quelles actions me pousse-t-elle, est-ce que ces actions me procurent un mieux-être oum’enfoncent-elles encore plus? On peut faire la même chose avec la peur de voir les enfants quitter la maison ou avec nos angoisses quant à leur avenir. Observer tranquillement nos «mauvaises» pensées nous conduira tout naturellement à nous recentrer sur le moment présent: puisque l’avenir est incertain, savourons le bonheur de l’instant, habitons pleinement notre quotidien et réjouissons-nous d’être bien vivants!

Concrètement, comment se connecter à sa vie intérieure ?

Christophe André : Les voies d’accès sont multiples et propres à chacun. Certaines sont plutôt organisées: l’écriture d’un journal intime, la méditation, la prière, l’introspection. D’autres sont un peu plus spontanées et consistent à vivre autrement des moments tout à fait banals du quotidien.Lorsque nous buvons un verre de vin ou sommes dans un transport en commun, nous pouvons prendre deux à trois minutes pour faire une pause et observer ce que nous abritons comme ressentis, émotions, pensées à cet instant précis. Ce détour par soi-même peut aussi intervenir lors de grands événements de la vie: nous venons de perdre un ami et repensons à la relation qui a été la nôtre; nous sommes atteints d’une maladie et nous penchons sur ce qu’elle provoque en nous.

Cultiver son intériorité demande-t-il un effort ?

Christophe André : C’est en tout cas une démarche volontariste: il faut prendre la décision d’explorer sa vie intérieure, cela ne se fera pas tout seul! Certains accomplissent ce retour régulier à soi avec un réel plaisir et beaucoup de facilité. Pour d’autres, cela relève en effet de l’effort car ils se sentent plus à l’aise dans l’action que dans l’observation d’eux-mêmes. Mais le jeu en vaut la chandelle. Quelques minutes par jour prises entre nos diverses activités suffisent à ne pas laisser le bazar s’installer dans notre vie intérieure. Et donc à nous donner toutes les chances d’être épanouis, bien dans notre vie.

Propos recueillis par Isabelle Gravillon pour NotreFamille.

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