Le numérique peut-il lutter contre l’échec scolaire ?

le 10/07/2019 à 09h07 par  - Lecture en 3 min Ajouter à votre selection
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Petit à petit, le numérique se fait une place à la maison, mais aussi dans les écoles. Mais est-ce réellement un outil d'apprentissage efficace ? Entretien avec Sandra Enlart, chercheuse associée en sciences de l’éducation à l’Université Paris-Ouest Nanterre (1), à l’occasion de la journée du refus de l’échec scolaire, mardi 20 septembre.

Quels sont les atouts du numérique pour les apprentissages scolaires ?

Sandra Enlart  : Le premier grand avantage du numérique reste la simplicité et la rapidité de l’accès aux ressources. Le deuxième, c’est la personnalisation des processus d’apprentissage, avec la possibilité de comprendre et d’avancer à son rythme. Enfin, le rapport à l’outil numérique permet aussi de sortir de la symbolique habituelle maitre-élève, ce qui peut débloquer des situations chez des enfants ou des adolescents en échec scolaire. Cela ne veut évidemment pas dire que l’élève est isolé avec sa tablette ou son ordinateur. Il est accompagné par l’enseignant et peut aussi avoir accès à des réseaux d’apprenants.

Quelles sont les limites de ces outils ?

Sandra Enlart   : Ce que je dis pour les adultes, dans le cadre des formations que je mène, vaut également pour les enfants : aucun des atouts dont je viens de parler ne garantit un processus d’apprentissage. Apprendre ce n’est pas être confronté à des ressources pédagogiques. Le processus qui fait que je m’approprie des connaissances, au point qu’elles deviennent les miennes et que je sais les utiliser à bon escient dans des contextes de vie réelle, échappe à tous ces paramètres. La question n’est donc pas celle des outils, mais la manière dont on accompagne ce processus d’apprentissage. Comment on permet l’appropriation des connaissances, comment on la facilite et on l’individualise pour qu’elle ait du sens. Or, aujourd’hui, cette dimension n’est pas prise en compte par par le numérique.

L’aspect ludique, souvent mis en avant comme un atout, peut-il faciliter les apprentissages ?

Sandra Enlart   : La dimension ludique est une modalité intéressante qui existe d’ailleurs en dehors du numérique. Elle peut permettre un engagement dans l’acte d’apprendre, un investissement de l’attention et une dédramatisation, mais le problème reste le même : ce n’est pas parce que l’élève joue qu’il va nécessairement apprendre. Si après avoir joué il se dit « ah, ce que j’ai fait dans le jeu me permet de comprendre ou de faire telle chose », autrement dit, s’il y a un moment de réflexivité et d’appropriation, c’est très bien, mais ce processus n’intervient pas mécaniquement parce que l’enfant joue.

L’outil numérique ne permet donc pas de mieux apprendre ?

Sandra Enlart   : Si, le numérique peut réellement faciliter et accélérer le processus d’apprentissage, à condition d’être pensé et accompagné. Mais s’il n’y a pas une réflexion pédagogique derrière les nouvelles technologies, elles ne donneront pas plus de résultats qu’un manuel scolaire. Je dirai même qu’elles peuvent entraîner des dérives et renforcer les inégalités en donnant l’illusion d’un apprentissage. Ainsi, ce n’est pas parce qu’un enfant va faire un quiz trois fois qu’il aura compris, même s’il a donné les bonnes réponses. La tablette n’est pas une baguette magique. Et l’oublier peut avoir de graves conséquences, notamment sur les élèves les plus en difficultés. Il ne s’agit pas d’être technophobe, ni technophile d’ailleurs, mais de placer les outils numériques à leur juste place. S’ils ne peuvent à eux seuls résoudre le problème de l’échec scolaire, ils sont susceptibles d’améliorer les conditions d’apprentissage lorsqu’ils sont mis au service d’un objectif éducatif.

Paula Pinto Gomes - Une interview du journal La Croix - Septembre 2016

(1) Sandra Enlart est directrice générale d’Entreprise & Personnel et co-fondatrice de DSides, laboratoire d’innovation et de prospective qui traite de l’impact des technologies numériques sur nos façons de penser, de travailler et d’apprendre. Elle a co-écrit avec Olivier Charbonnier l’ouvrage « Faut-il encore apprendre ? », Dunod, 2010.

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